Chapitre 7

 

 

Je réussis à rentrer chez moi sans tomber dans les pommes sur le trottoir, mais ce fut de peu. Aucun doute, je souffrais d’une commotion cérébrale. Le portier me demanda si j’allais bien. Je lui mentis en répondant que oui.

L’ascenseur faillit me retourner les tripes, mais je parvins jusqu’à mon appartement puis jusqu’à mon lit sans me mettre dans une situation embarrassante. Une fois allongée, j’eus l’impression d’être à la fois sur un cheval qui ruait et sur un manège, mais je fermai malgré tout les yeux et essayai de me détendre et de m’endormir. Finalement, cela fonctionna.

Je m’attendais presque que Lugh me remette d’aplomb sans me parler. Après tout, je lui en voulais encore pour ce qu’il avait pu dire à Brian et il avait l’habitude de m’éviter quand j’étais en colère après lui. Il est vraiment malin. Cette fois, pourtant, il ne choisit pas la fuite.

Quand j’ouvris les yeux, je me retrouvai dans une pièce inconnue : une salle longue et caverneuse, le plafond soutenu par des piliers massifs en pierre, les fenêtres et les portes surmontées d’arches gothiques. Au bout de la pièce se trouvait une estrade sur laquelle s’élevait ce qui ne pouvait être qu’un trône. En accord avec les proportions de la pièce, le siège était énorme, ses pieds et son dossier étaient taillés dans une sorte de bois sombre, peut-être de l’acajou. L’assise, en tapisserie matelassée rouge et or, n’avait pas l’air très confortable. Un jeté de velours rouge – un tapis apparemment – entourait le trône tel un halo.

La pièce était éclairée par une série de chandeliers en acier qui laissaient la plupart des arches et des coins dans une obscurité impénétrable. Les cheveux se dressèrent sur ma nuque et je frémis.

— Lugh ? appelai-je.

Ma voix résonna tandis que je tournais sur place à la recherche du démon.

Quand j’eus fait un tour complet, le trône n’était plus inoccupé.

Je n’avais encore jamais vu Lugh tel qu’il m’apparut ce jour-là. Il était entièrement vêtu de rouge lie-de-vin avec des rehauts d’or scintillants : un ensemble coordonné constitué d’un manteau, d’un gilet et de hauts-de-chausses décorés de boutons, même aux endroits qui n’en requéraient pas. De la dentelle blanche moussait aux poignets de sa veste et sous son menton. Des bas blancs enserraient ses mollets et disparaissaient dans des chaussures de velours rouge ornées de boucles dorées. Ses cheveux détachés étaient retenus par un simple bandeau d’or qui ressemblait bigrement à une couronne.

Je connaissais le visage sous la couronne : c’était celui de Lugh, mon démon et, peut-être, mon ami. Mais pour la première fois, j’avais vraiment l’impression de faire face au roi des démons. La bouche sèche, la gorge serrée, je ne savais quoi dire. Comment pouvais-je me tenir dans une salle du trône et réprimander le roi pour avoir parlé sans ma permission ?

Lugh croisa ses jambes élégantes au niveau des genoux et s’adossa dans son siège comme s’il s’agissait d’une chaise longue pépère plutôt qu’un siège en bois dur sculpté. Il ne souriait pas vraiment, mais ses yeux pétillaient sans aucun doute d’un soupçon d’amusement.

— Ai-je finalement trouvé le moyen de t’impressionner ? demanda-t-il.

J’essayai de ricaner, mais le son que j’émis était faible et peu convaincant.

— Si j’avais su que c’était une soirée costumée, je me serais déguisée, dis-je, déterminée à ne pas le laisser me mettre mal à l’aise.

Il ne répondit pas, haussant à peine les sourcils. Avec un soupir de résignation, je baissai les yeux sur moi et découvris que je portais une volumineuse robe de brocart verte. Mes seins, à la fois rehaussés et aplatis par ce que je supposais être un corset, étaient couverts – si peu – par un panneau triangulaire de dentelle épinglé au bustier de la robe. À la moindre respiration trop ample, mes tétons risquaient certainement de faire une apparition surprise. Je ne portais pas cette tenue au début du rêve, mais comme je n’avais pas pensé à y prêter attention, je ne pouvais pas en être tout à fait certaine.

— Ça me ressemble tellement, marmonnai-je sèchement alors qu’un nouveau frisson me parcourait l’échine.

— Ce serait un délice de sensualité que de t’en dévêtir, dit Lugh. Une gourmandise, au vrai sens du mot. Toutes ces petites épingles qui tiennent le plastron, et tous les sous-vêtements avec leurs rubans et leurs dentelles…

— On dirait que ce ne serait pas la première fois que tu déshabillerais une femme vêtue ainsi.

Il ne répondit pas, mais son silence était en soi une réponse. C’était un être qui avait vécu longtemps, il était probablement immortel, et je savais qu’il avait déjà séjourné dans notre monde. Peut-être ma tenue était-elle le nec plus ultra de la mode féminine lors de son dernier passage.

Puisqu’il avait évoqué le sujet du sexe – bien qu’indirectement –, j’attaquai de manière frontale plutôt que de l’interroger sur ce soudain changement de décor.

— Qu’as-tu raconté à Brian quand tu l’as appelé au milieu de la nuit ?

Il soupira et m’adressa un regard déçu.

— Tu crois vraiment que c’est la chose la plus importante dont nous devrions parler ?

Pas vraiment. C’était juste une tentative pour prendre le contrôle sur Lugh. Voilà ce qui importait pour moi.

— Je lui ai dit que tu apprécierais un peu de domination. (Il leva une main pour retenir ma protestation.) Venant de lui. Un autre amant n’aurait pas survécu à cette tentative.

Même s’il ne souriait pas, j’étais certaine qu’il se moquait de moi. J’aurais aimé pouvoir nier ce qu’il affirmait mais puisque aucun de nous n’aurait cru ce démenti, c’était inutile.

— Pourquoi ? demandai-je d’une voix guère plus audible qu’un murmure râpeux.

C’était déjà bien assez pénible que Lugh envahisse mon esprit et qu’il connaisse mes pensées et mes désirs les plus secrets… Mais qu’il les partage avec quelqu’un d’autre ! Même avec Brian…

Lugh me scrutait, tête penchée. Je savais qu’il cherchait à deviner ce qu’il pourrait dire pour s’en tirer et même si j’aurais aimé qu’il me dise tout, je n’étais pas sûre d’être capable de le lui demander.

— Nous savons tous les deux que tu as des problèmes de confiance, dit-il enfin.

— Pas possible ?

Il me foudroya du regard et je la fermai.

— Mais tu désires désespérément faire confiance à quelqu’un, même si tu ne cesses de saboter tes propres efforts.

— Attends une seconde…

Sans surprise, il me coupa la parole.

— La partie de ton cerveau qui ne pense pas tout le temps fait confiance à Brian. C’est pour cette raison que votre relation est si spéciale. Je lui ai conseillé de communiquer avec cette partie de toi.

— Hein ?

— Tu n’aurais pas toléré, encore moins pris de plaisir à ce qu’il t’a fait, si tu ne lui avais pas implicitement fait confiance. Pour une personne comme toi, faire suffisamment confiance à quelqu’un et lâcher le contrôle relève de la quête du Graal. Je voulais te montrer que c’était à ta portée, si seulement tu voulais l’atteindre.

Je secouai violemment la tête et j’aurais juré sentir des billes s’entrechoquer là-dedans. Je ne comprenais absolument pas de quoi il parlait, mais j’étais certaine qu’il s’agissait d’une de ses manigances pour que je lui cède le contrôle.

— Peu importe. Ne viens pas foutre la merde dans ma vie sentimentale ! Ça ne te regarde pas.

Lugh éclata de rire sans que je comprenne ce qui était comique.

— De plus je croyais que tu me voulais pour toi tout seul, poursuivis-je d’une voix forte. Je parie que tu ne l’as pas mentionné à Brian.

Son rire mourut, remplacé par un doux regard condescendant que j’appréciai encore moins.

— Brian et moi ne sommes pas en compétition. Tu n’auras jamais à choisir entre nous deux parce que je ne peux venir te rendre visite que lorsque tu dors et qu’il ne peut le faire que lorsque tu es éveillée.

Je ne pensais pas que Brian le verrait d’un tel œil. J’étais aussi tout à fait sûre que Lugh n’avait pas évoqué ses propres tentatives de séduction au cours de sa petite discussion avec Brian.

Je devais m’habituer au fait d’être possédée parce que jusqu’à ce moment-là, je n’avais pas réfléchi à toutes les ramifications de ma liaison avec Brian… Des ramifications qui m’avaient préoccupée tout au début de ma possession par Lugh. Je serrai les dents et je jetai un regard de colère au roi des démons.

— Alors tu as apprécié quand Brian m’a plaquée sur la table de la cuisine pour me baiser ?

Je ne pouvais me trouver avec Brian et Lugh en même temps, mais Lugh était toujours à demeure. Il m’adressa un sourire sans vergogne.

— C’est la première fois que je possède un hôte femme. Je dois admettre que les sensations sont différentes et fascinantes, très agréables aussi. Comme tu l’as sans doute compris, les démons n’ont pas les mêmes problèmes que les humains concernant leurs orientations sexuelles.

Je réprimai un grognement. Non seulement je devais me soucier que Lugh cherche à me séduire, mais maintenant je devais envisager qu’il puisse avoir envie de séduire Brian.

Lugh devait avoir lu dans mes pensées et décidé qu’il devait me détourner d’une crise de rage de première classe.

— Assez parlé de tes problèmes personnels, dit-il, d’un ton qui me hérissa encore plus. Je suppose qu’il a dû geler en enfer pour que, pour une fois, je sois d’accord avec mon frère.

Ma colère fut désamorcée par l’éclair d’humour qui traversa le regard de Lugh, même si je restais prête à me jeter sur sa jugulaire au moindre faux pas.

— Raphael a dit que nous avions besoin d’un plan à long terme, poursuivit Lugh. Quel que soit ce plan, il doit avoir comme objectif de maîtriser Dougal et tous ses partisans qui connaissent mon Nom véritable. Mais mon premier objectif est d’établir des mesures de sécurité afin de me protéger, et de te protéger, bien entendu.

Malgré ma colère, je ne pouvais qu’adhérer à son raisonnement.

— Et comment as-tu prévu de t’y prendre ? demandai-je.

Lugh se redressa sur son trône, le dos droit, le menton relevé, les yeux brûlant d’un feu ambré.

— J’ai peut-être été évincé de mon trône au Royaume des démons, dit-il, mais jusqu’à ce que Dougal parvienne à me tuer, je suis toujours le roi. Il est temps pour moi de rassembler ma cour et, étant donné l’urgence de la situation, je le ferai dans la Plaine des mortels.

Confiance Aveugle
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